Reprendre le travail après un burn-out, dans de bonnes conditions, concerne la personne épuisée e...
Reprendre le travail après un burn-out A quoi être attentif ?
Le burn-out et les besoins des humains au travail
Eric, manager dans une société de production phytosanitaire est sous pression : des délais intenables, des changements de stratégies récurrents, des moyens insuffisants. Il tente de protéger son équipe des exigences surréalistes de la maison mère mais n’y parvient que peu et à un prix démesuré. Préoccupé, il se bat pour faire entendre ses besoins et ceux de son équipe auprès de la hiérarchie, de manière régulière, mais sans succès.
Il compense avec des heures supplémentaires, saute les pauses de midi, travaille d’arrache-pied, mais rien n’y fait : les problèmes s’accumulent, les absences dans son équipe aussi.
Son humeur change, il devient irritable, se sent fatigué dès le matin et angoisse dès le dimanche après-midi en pensant encore à la semaine qui l’attend. En famille, il est comme absent, absorbé par ses pensées professionnelles. Il est conscient du problème mais le cercle est vicieux et il peine à en sortir.
Petit à petit, il est en train de s’approcher d’un burn-out. C’est-à-dire du résultat physiologique d’un stress devenu chronique : un stress long, quasi ininterrompu.
Son corps se manifeste : fatigue physique, courbatures, humeur changeante et irritabilité, des crises d’angoisses, des larmes parfois, de mauvaises nuits, depuis des semaines. Ce corps réagit face à la souffrance au travail que vit Eric, « aux prises » avec les systèmes organisationnel et sociétal qui le dépassent.
Les personnes en burn-out sont des personnes qui n’ont pas été entendues dans ce qui fait souffrance. Les conditions de l’exercice de leur métier ont été défavorables au maintien de leur équilibre physiologique et psychologique.
Lorsqu’une personne est en burn-out, c’est que ses besoins humains au travail n’ont pas été rencontrés.
Parmi ces besoins, je songe à, pour ne citer que quelques exemples :
- La possibilité d’exercer son travail dans des conditions qui permettent d’être fièr.e ou, à tout le moins, satisfait.e du résultat ;
- Se sentir en sécurité psychique et physique ;
- Disposer des moyens nécessaires pour atteindre les résultats attendus
- Sortir du « tout à la performance » pour s’autoriser des moments pour se ressourcer, pour penser le travail que l’on fait, pour échanger avec ses pairs …
- Les liens sociaux et de coopération au nom d’une mission ;
- La possibilité d’exister, c’est-à-dire d’exprimer de soi, dans les tâches accomplies ;
- D’une certaine autonomie ;
- Pour certaines personnes : de contribuer à des tâches et un travail qui fait sens (c’est-à-dire de contribuer à quelque chose dans le monde en accord avec soi, que l’on peut évaluer comme important) ;
Ces besoins ne peuvent être rencontrés que dans des systèmes adaptés : structure organisationnelle adéquate, management compétent, moyens en corrélation avec les objectifs, stratégie claire, décision et actions conséquentes, respect des personnes et des conditions de la qualité de vie au travail…
Pourtant, dans bien des cas, les causes de l’épuisement professionnel sont pointées du doigt par ceux qui en ignorent les mécanismes comme étant des causes strictement individuelles : « Elle ne sait pas s’organiser », « Il est trop perfectionniste », « Elle est trop stressée » , « Il a des soucis dans sa famille » (etc.), renforçant encore plus la stigmatisation des personnes absentes de longue durée pour cause d’épuisement.
Car le burn-out est le résultat d’un stress chronique qui a pour conséquence un épuisement à 3 niveaux :
- Cognitif : pertes de mémoires, difficultés de concentration ;
- Emotionnel : émotivité, irritabilité, impatience inhabituelle, éventuellement diminution de l’empathie…
- Physique : fatigue qui perdure, éventuellement des troubles musculo-squelettiques, etc.
Les facteurs systémiques du burn-out
Le burn-out est le résultat d’un stress chronique. Ce stress peut être vu comme le résultat d’une organisation du travail néfaste au regard des besoins de qualité de vie au travail des personnes concernées.
La loi belge prévoit que les employeurs prennent des mesures pour limiter les risques d'épuisement professionnel, notamment en adaptant les modèles de travail et en mettant en place des programmes de prévention.
Parmi les facteurs organisationnels de burn-out, on notera, en se référant, par exemple, à Christina Maslach (1) :
- Des conditions de travail inadéquates : lorsque les conditions de l'exercice d'un métier ou d'un poste ne sont pas favorables pour le maintien de l'équilibre physiologique et psychologique.
- Manque de moyens nécessaires : ne pas disposer des moyens nécessaires pour atteindre les résultats attendus.
- Performance excessive : la pression du « tout à la performance » sans moments pour se ressourcer ou échanger avec ses pairs, prendre du recul, se poser, penser le travail, etc.
- Absence de liens sociaux : manque de coopération, liens sociaux au sein de l'organisation, conflits, etc.
- Autonomie limitée : manque d'autonomie dans l'exécution des tâches (une autonomie proportionnée aux compétences du collaborateur, de la collaboratrice).
- Inadéquation entre valeurs personnelles et organisationnelles : la souffrance au travail est souvent le résultat de l'inadéquation entre l'organisation du travail, les valeurs personnelles des collaborateurs, et la manière dont l'humain est traité dans l'organisation. On pense, par exemple, aux atteintes à la dignité, aux jeux psychologiques, aux violences organisationnelles et aux abus de pouvoir.
On relèvera aussi, avec Vincent De Gaulejac (2) :
- Les injonctions paradoxales : les contradictions internes du monde du travail – comme l'exigence simultanée de performance à tout prix et de bien-être, ou l'autonomie forcée sous contrôle strict – contribuent à la souffrance des travailleurs. Ces injonctions paradoxales sont un facteur clé du stress et du burn-out, car elles placent les collaborateurs dans des situations où il est impossible de répondre aux attentes sans se mettre en difficulté.
Ces facteurs montrent que le burn-out est profondément enraciné dans l'organisation et les relations de pouvoir au sein de l'entreprise.
Les conditions de la reprise du travail
Ainsi le décor des conditions d’émergence d’un burn-out planté, on comprend mieux en quoi les conditions d’une bonne reprise du travail dépendent largement de la coopération entre employeur et employé.
Les conditions de la reprise du travail sont à la fois organisationnelles (systémiques) et individuelles.
Sur le plan individuel :
- L’épuisement est résorbé et l’énergie retrouvée : un médecin a attesté de la capacité de santé de la personne à reprendre le travail (souvent à temps partiel en début de reprise pour ré-habituer le corps progressivement). La personne se sent en forme, les « hauts et les bas » caractéristiques d’un épuisement en cours de résorption sont derrière soi, l’énergie est là, de manière « normale » : une fatigue le soir, de l’énergie au réveil, des nuits de qualité suffisante.
- Comprendre et repérer les mécanismes qui ont contribué au burn-out. Par exemple, si une personne travaille dans un environnement où ses valeurs ne sont pas en adéquation avec la manière dont les collaborateurs sont traités, il y a là un nœud entre l’individuel et le collectif qu’il faut examiner au cas par cas pour choisir ce qu’il y a lieu de faire avec cette expérience de la vie au travail. De même, certain.e.s seront plus sensibles à la norme sociétale de performance (3). Les humains en épuisement professionnels sont très souvent des personnes pour lesquelles la conscience professionnelle, le sens du devoir, le sens du travail bien fait, la qualité sont des valeurs importantes. Sans renier ces valeurs, les personnes peuvent avoir besoin de les mettre en perspective (contexte de travail, coût-bénéfice, identité de la / du bon « professionnel.le », etc.
- Ecouter vraiment son corps : c’est-à-dire à repérer les premiers signaux de stress dans son corps et réguler ce stress pour éviter qu’il ne s’accumule : décharger, se ressourcer, s’apaiser, s’arrêter, se poser… Le cas échéant avoir démarré un travail personnel (coaching, thérapie, méditation de pleine conscience, etc ) pour apprendre à réguler ses émotions et son anxiété.
- Définir et respecter les conditions de travail qui sont les bonnes pour soi et son quotidien. Les objectiver : c’est-à-dire lister concrètement les conditions matérielles, logistiques, organisationnelles, comportementales, de compétences et de capacités, de responsabilités, de valeurs, d’identité professionnelle, de contribution au monde. Avoir fait, en quelques sortes, « le tour de la question de son désir de travail en termes qualitatif et quantitatif ».
- Décliner ces conditions en éléments objectifs qui vont servir de critères pour adapter le travail chez l’employeur ou pour quitter l’employeur. La personne qui reprend le travail a-t-elle évalué de manière complète la perspective d’une reprise de poste au sein du même employeur, dans le même type de fonction ? Une mobilité interne ? Un départ ? Une reconversion ?
- Définir et respecter ses limites, ses frontières. Bien sûr, la perfection n’existe pas et chacun.e peut parfois trébucher et ne pas respecter ses limites, en faire plus qu’il ne l’aurait souhaité, accepter plus qu’il n’aurait voulu. L’important est de vite retrouver son équilibre en reprenant immédiatement des habitudes de protection de ses limites. Quelles seront les stratégies concrètes pour exister professionnellement sans se sur-adapter ? Qu’est-ce qui sera devenu éventuellement non-négociable ? Comment rester « fidèle à soi » ?
- Prévoir, planifier, des temps de rendez-vous avec soi-même. Réguliers, au calme, sans être interrompu (pas de tél, d’écran, de collègues, etc.). Pour faire le point, sentir comment on se sent, ajuster si nécessaire.
Sur le plan de l’organisation :
- Tirer les apprentissages de l’expérience. L’employeur doit s’ouvrir, être à l’écoute du vécu de son collaborateur et chercher à comprendre ce qui s’est passé, du point de vue du collaborateur. Il faut donc que collaborateur et employeur se rencontrent et co-construisent une solution, c’est-à-dire un contexte et des conditions de travail adapté.
- Il doit identifier les nœuds dans le système : la structure de l’organisation inadaptée, les relations interpersonnelles problématiques, le manque de clarté des champs de responsabilités, les processus de reconnaissance insuffisants, des évaluations absentes ou castratrices, l’insuffisance d’espace de création de liens et d’intelligence collective, le sur-contrôle et l’insuffisance de confiance, les injonctions paradoxales, les incertitudes angoissantes, une vision peu claire, des objectifs et des missions mal définis, mal délimités, des manques de compétences, des outils obsolètes, des deadlines trop courtes au regard des moyens disponibles, etc.
L’employeur peut être utilement soutenu par un tiers extérieur dans son analyse. Par exemple via des psychologues et sociologues.
Un diagnostic organisationnel et un travail de facilitation dans les équipes, la formation, peuvent apporter des pierres à l’édifice d’une organisation qui propose un contexte de travail de qualité. L’introduction d’un tiers permet un regard extérieur qui apporte souvent un éclairage neuf sur les situations de travail et la structure organisationnelle, sur les relations interpersonnelles, la communication, la création de liens, etc.
- Un engagement fort de l’employeur et de ses managers dans la mise en œuvre de changements bénéfiques. Il ne suffit pas d’établir un bilan, il faut aussi passer à l’action et apporter les changements nécessaires. Parfois, ce sont de touts petits changements aux impacts majeurs…
- Un plan d’action et de communication. Les actions possibles au sein de l’organisation qui emploie la personne qui va reprendre le travail doivent être identifiées, définies et planifiées. Quel est l’impact possible lors du retour au travail ? Des modifications dans le contenu de la fonction et/ou les conditions seront-elles apportées et garanties ? Quelle sera la place à la coopération, l’échange et le changement dès la reprise du travail ? Comment ces changements impactent-ils éventuellement toute la structure ou une partie de l’organisation ? Il faut aussi que l’organisation assure la bonne communication des changements.
Lorsque le travailleur en burn-out est un.e indépendant.e, il y a de fortes chances que ce dernier soit aux prises avec les normes sociales et les attendus présupposés ou avérés des clients, des fournisseurs, des partenaires, etc. Un travail d’analyse systémique et individuel du même ordre que décrit précédemment est tout aussi nécessaire.
Conclusion sous forme de tips & tricks
Qu’est-ce que le burn-out et qu’est-ce qu’il n’est pas ?
- Le burn-out est le résultat d’un stress chronique au travail.
- Le burn-out n'est pas une faiblesse individuelle mais une réponse à des conditions de travail inadéquates.
- Le burn-out entraîne un épuisement à trois niveaux : cognitif (pertes de mémoire, difficultés de concentration), émotionnel (émotivité, irritabilité, impatience inhabituelle), physique.
- Les causes du burn-out sont systémiques : liées à l'organisation du travail et aux dynamiques au sein de l'entreprise, renforcées par des normes et des mythes sociétaux.
Quelles sont les conditions pour une bonne reprise du travail ?
Pour le collaborateur :
- L'épuisement doit être résorbé et l'énergie retrouvée, attestée par un médecin.
- Comprendre et repérer les mécanismes qui ont contribué au burn-out.
- Écouter vraiment son corps et repérer les premiers signaux de stress pour les réguler.
- Définir et respecter les conditions de travail qui sont les bonnes pour soi et son quotidien.
- Évaluer les options : reprise du même poste chez le même employeur, dans une autre fonction, ou envisager un départ, une reconversion, voire une bifurcation (un changement total d’orientation professionnelle).
- Définir et respecter ses limites et ses frontières.
- Prévoir des temps de rendez-vous réguliers avec soi-même pour faire le point et ajuster si nécessaire.
Pour l’employeur :
- Tirer les apprentissages de l’expérience et co-construire une solution avec l'employé.e.
- Identifier les nœuds dans le système organisationnel et les relations interpersonnelles problématiques.
- Mettre en œuvre des changements bénéfiques avec un engagement fort de l’employeur et de ses managers.
La reprise du travail après le burn-out est donc le résultat d’une métamorphose individuelle et peut être le début d’une métamorphose organisationnelle, promesse alors d’une aventure humaine vivifiante pour les protagonistes.
Lorsque les changements nécessaires ne s’opèrent pas au sein des organisations, les humains qui étaient épuisés et qui ont retrouvé leur énergie prennent leur envol pour des lieux plus accueillants pour eux.
Maryline De Beukelaer
Quelques mots sur mes accompagnements
Sociologue, je pratique le coaching et la thérapie (PNL et hypnose), au rythme des personnes que j’accompagne.
J’interviens également comme formatrice dans les matières liées à la communication interpersonnelle, au stress, au leadership et au people management. Je porte des regards croisés (sciences humaines) sur les souffrances au travail et j’aime à mettre en lumière les ressources immenses des personnes qui façonnent, avec ce qui leur arrive, des chemins vivifiants.
J’accompagne aussi les organisations qui ont le désir sincère de réaliser un diagnostic organisationnel qui permettra de transformer les pratiques après avoir déniché les facteurs qui contribuent aux souffrances au travail de leurs collaborateurs.
Notes :
(1) Christina Maslach est une psychologue américaine spécialisée dans l'étude du burn-out et du stress au travail. Elle est notamment connue pour avoir développé le Maslach Burnout Inventory, un outil de mesure du syndrome d'épuisement professionnel.
Christina Maslach, Michael Leiter : « Burn-out : le syndrome d'épuisement professionnel », Les Arènes, 2011, 270p.
(2) Vincent de Gaulejac: « Travail, les raisons de la colère », Le Seuil, Economie humaine, 2011, 335p.
(3) Pascal Chabot : « Global Burn-out », Presses Universitaires de France (PUF), 2012, 152p.